Le Val de Loire, région sans véritable identité géographique, mais à la lumière et à la douceur tellement prenantes, est le berceau historique de l’Hexagone au même titre que l’Ile de France. Une vallée longue de trois cents kilomètres et que ponctuent à peu près autant de demeures historiques, dont cent vingt châteaux aux noms souvent connus dans le monde entier.
Ses villes, certes moins célèbres, valent le détour (Orléans, Tours, Blois, Amboise), comme d’ailleurs les vallées des affluents du fleuve aux falaises de tuffeau.
Si vous voulez disposer d’assez de temps pour flâner à votre guise et goûter aux plaisirs de la table et aux produits des vignobles de la région, réservez une pleine semaine.
Commençons notre périple en amont du Val, en remontant, à notre façon, aux sources de l’Occident, dans ce vaisseau de pierre qu’est la basilique Saint-Benoît, à deux pas de la forteresse de Sully qui accueille chaque printemps un festival de musique de haute tenue.
Dans la crypte contenant les reliques du patron de l’Europe, au coeur de l’un des premiers foyers intellectuels du Vieux Continent, un moine bénédictin, les yeux fermés, déclame, au terme d’une brillante visite de l’édifice roman, une page de Claudel parlant de sa rencontre avec Dieu.
C’est toujours de foi qu’il est question en abordant Orléans, à quelques encâblures de là. De la foi de la Pucelle, laquelle, en boutant l’Anglais hors des murs de la ville qu’il assiègeait, changea le cours du destin du royaume.
Victimes des ambitions des lointains descendants de ces voisins qu’étaient les Plantagenêts angevins, les rois de France avaient en effet dû se replier sur la Loire.
A l’époque donc, on réside dans des châteaux-forts non pour goûter aux charmes de l’existence, mais afin de sauver sa peau. Le temps béni de la Touraine viendra seulement avec la Renaissance, quand les souverains en feront leur lieu de résidence favori et la transformeront en un vaste chantier où fleurit l’esthétique nouvelle.
Contraints d’y résider, les Valois finirent par apprécier et la douceur du climat – pensez, le printemps débute avec quinze jours d’avance sur Paris – et ses forêts très giboyeuses. Ils se déplacent de l’une à l’autre de leur résidence, où règne une prodigieuse animation. Transportant archives d’Etat et mobilier, le cortège royal compte jusqu’à quinze mille personnes, aidées de douze mille chevaux!
Rendons-nous au coeur du pouvoir royal, à Blois. Plutôt dans la grande cour aux quatre châteaux, témoins des moments forts de l’architecture française. Vous frappera sans doute plus que tout l’aile Renaissance François Ier, flanquée de son grand escalier qu’emprunta une dernière fois le duc de Guise avant de se faire assassiner dans l’appartement du roi par les hommes de main d’Henri III. Cruelle époque!
De la terrasse du château, vous dominez les toits d’ardoise de la vieille ville et cherchez déjà du regard, au-delà de la Loire, l’écrin de verdure où se nichent les élégantes demeures des puissants de l’époque, amateurs de vénerie.
Sorti indemne des guerres de religion et de la Révolution, le château de Cheverny a conservé et ses propriétaires et ses meubles. Et Dieu que sa façade donnant sur des jardins massifs de fleurs est élégante! Ne vous évoque-t-elle pas curieusement quelque chose, alors que vous la considérez pourtant pour la première fois? Mais oui, bon sang, les deux ailes en moins, c’est Moulinsart tout craché!
Ne quittez pas les lieux sans avoir donné un coup d’oeil à la salle des trophées et au chenil encore occupé par une meute d’une septantaine de chiens, prêts à se lancer dans une chasse à courre.
Un peu plus près de la Sologne, mais toujours au fond des bois, c’est Chambord, à la totale démesure. Au retour de ses ruineuses campagnes transalpines qui lui apprirent à mieux vivre la vie de château, François Ier engloutit sa fortune dans cette réalisation qui dit tout ce que la Péninsule avait à apporter à la France…
Le grand roi avait entamé son règne non loin de là, à Amboise, l’une des villes les plus attachantes de la Loire, où il installe son ami Léonard de Vinci, l’organisateur de ses fêtes magnificentes. En échange de ses largesses, son protecteur ne lui demande rien d’autre que le plaisir de pouvoir converser avec lui.
Les soirs d’été, sur l’esplanade du château, vous revivrez les fastes de la cour du Roy François. Là, dans un domaine géré par le comte de Paris, vous assisterez à l’arrivée du cortège royal marchant au pas de cérémonie, et oublierez vite que ce somptueux son et lumière vous est offert par quatre cents figurants républicains bon teint.
L’esprit toujours orienté vers le passé, vous parcourerez aussi les étages du château féodal de Langeais qui vit le mariage de Charles VII et d’Anne de Bretagne. Et vous déambulerez dans les ruines de la forteresse de Chinon, longue de quatre cents mètres, sur son piton rocheux dominant la Vienne.
C’est là que Richard Coeur de Lion vint mourir et que lui succèdera son frère, le fourbe Jean sans Terre; c’est là qu’on enferma les Templiers et leur grand maître Jacques de Molay, avant que Philippe le Bel ne les brûle vifs à Paris; c’est là surtout, dans la capitale du royaume un siècle durant, que Jeanne d’Arc supplia Charles VII de lui donner les moyens de partir à la reconquête de son propre royaume.
Vous ne quitterez pas le Val sans avoir rendu visite à ces sites incontournables que sont Azay-le-Rideau – peut-être la plus élégante des résidences, qui se mire dans les eaux des bras de l’Indre. Et Villandry, en bordure de la Loire, dernier des grands châteaux Renaissance, dont les jardins touchent au sublime: terrasses, jardin potager d’ornement entièrement renouvelé deux fois l’an, jardin d’eau et, combien célèbre, le jardin d’amour.
Après avoir arpenté Tours la moyenâgeuse, avec sa belle cathédrale et ses rues historiques à colombages, vous vous devez d’achever votre voyage à Chenonceau, une fin d’après-midi.
Le soleil couchant pare d’or le château en travers de l’eau sur lequel Marie de Médicis régna un demi-siècle. Depuis sa double galerie, la vision sur le Cher et les jardins touche au sublime. Maintenant comblé, vous pouvez rentrer.